Te souviens-tu qui j'ai été pour toi ? Le lac au sillage d'argent,
et la montagne, la vague de fleurs à ton visage émerveillé,
et les mots jamais entendus qui faisaient affluer ton sang
vierge comme un jardins de roses ?
Qui j'ai été ? La richesse du monde après le chemin d'épines
et la voix d'une passagère beauté plus douce que tout ce
qui est éternel !
Tu m'écoutais alors, et tu ne voulais point m'échapper, et tu
me donnais joyeusement ton âme avec ton corps, et tu
fermais ton souvenir à l'homme de douleurs qui t'avait
ensorcelée !
C'est en vain que tu m'échappes ! Je veux t'accabler de
ma ferveur inassouvie ! Et déjà ton pas se fait chance-
lant et ton oreille se prête à ma voix ancienne.
Je sais bien où se trouve celui que tu aimes pour ta douleur,
et je suis jaloux parce qu'il t'a blessée de son incurable
amour....
Mais tu ne veux pas guérir de la blessure qu'il t'a faite, et
ta mémoire ne quitte plus les chemins enfiévrés aux traces
poupres de ses pas.
Mais toute joie que je te donne est empoisonnée par ce
souvenir, je sais bien, et je n'essaierai pas d'abolir ton
ingratitude.
Et dès lors je ne marche plus avec toi, et j'ai quitté le roc
de la montagne pour la lourde plaine féconde.
Et ma route s'allongeait entre deux haies d'épines,
et parmi les lourds nuages qui me serraient de toutes parts
je voyais se dresser l'ombre d'un gibet...
Mais depuis longtemps s'est évanoui ton mirage, et tu ne me
feras pas prendre pour une oasis le sable brûlant de ton
faux amour !
Oh saison désormais la mienne ! Je n'ai plus de goût pour le
sang indompté de la nature qui monte orgueilleusement et
frissonne en toute plante vivante, mais seulement pour
cette pluie aimable qui lave et désaltère !
Oh ! soutenez moi avec des fleurs qui soient des fleurs, forti-
fiez-moi avec des fruits qui soient des fruits !
Longtemps comme une biche altérée parmi les déserts
infinis, je me précipitais à mourir dans la mer sauvage,
et je collais ma bouche en feu sur l'ardeur des lèvres..
Oh ! pourquoi ce souvenir sur mon chemin printanier...?
J'ai trouvé des larmes pour étendre le feu de mon corps
et de mon coeur....
Je ne sais depuis quand mes larmes sont taries et
j'ai la consolation de ne plus pleurer sur ma douleur ancienne...
Vaste et salée comme la mer, embrasée comme le sable du
désert au soleil d'un midi....
Comment se consoler sur la plus haute plaine du malheur.....
aussi incommensurable que l'océan...